dimanche 8 février 2009

Un parfum d'abandon

*Inspiré de ces jeunes couples qui ont un chien et que je croise quand je fais une marche.*
Je cours. Je m'élance et je dévore l'espace. Je bondis et je fends l'air. J'aime courir. C'est dans ma nature. Courir et jouer. Alors ce matin, je cours. Sauf que ce matin c'est différent des autres matins. D'habitude je ne perds pas de vue sa camionnette. La poussière soulevée par son véhicule est retombée depuis longtemps et je ne le vois toujours pas. Ce n'est pas grave. Je cours.

Je m'encourage. Mon maître est sûrement caché au détour de ce chemin forestier, me dis-je. Il m'attend, la camionnette stationnée sur l'accotement, le panneau de la boîte abaissée, prête à me recevoir. Fin de la sortie matinale. Allez hop, retour à la maison. Oreilles au vent et langue à terre, j'accélère, le coeur battant du plaisir de retrouver ceux qu'on aime après une longue absence.

Déception. La camionnette n'est pas là. Ni son conducteur par la même occasion. Je ralentis ma course folle. Devant moi, une intersection. Pas facile de jouer à cache-cache avec lui quand il m'amène dans un territoire vierge pour moi. Qu'importe! L'important dans mes rapports avec mon affectueux promeneur du samedi matin c'est d'être à la fois intelligent et soumis. Parfaitement! Le chien n'est pas le meilleur ami de l'homme pour rien. Mon farceur de maître a sûrement pris le chemin de droite. Il est toujours à droite. À la droite de sa femme quand il la promène, à ma droite quand nous prenons une marche.

Je me remets en route, précédé de mon insouciance toute juvénile. Il faut savoir relaxer dans la vie et ce, même si je n'ai pas revu mon indispensable propriétaire depuis quelques heures, même si je me sens un peu perdu.

Je profite du soleil qui brille, de la brise juste assez légère pour me rafraîchir et je gambade en ces lieux inconnus quand, soudainement, un bruit attire mon attention. Je m'arrête, je suppute, je soupèse, je satisfais enfin ma curiosité et je m'approche du bosquet d'où émane le bruit. On dirait un craquement. Ou plutôt un léger sautillement, là, dans le fossé à quelques mètres de moi. Immobile, le corps tendu, je sonde l'avenir: monstre ou bestiole? Survivrais-je au potentiel danger? Une grenouille surgit devant moi. Animal repoussant que j'ignore et je poursuis ma route à la recherche de ma raison de vivre. Peut-être est-il lui aussi perdu dans ces dédales de chemins forestiers. Quelle idée aussi de venir jouer dans ce coin perdu.

Ne trouvant aucun indice du passage de mon fournisseur personnel de câlins par ici, je reviens sur mes pas, retourne à la croisée des chemins. Il a dû prendre à gauche. Je l'ai souvent entendu dire lors des soupers familiaux qu'il était un homme de gauche, qu'il avait à coeur le bien-être de ses concitoyens. C'est un homme bon, mon maître. Je suis très fier de faire partie de sa tribu. J'aurais très bien pu tomber sur un mauvais bougre qui aurait tenté de se débarrasser de moi à la première occasion. Mais pas lui. C'est un homme fidèle mon donneur de saucisses en dessous de la table. Enfin, peut-être pas fidèle avec sa femme mais ça c'est une autre histoire. Je crois même que s'il avait à choisir entre elle et moi, et bien elle serait surprise. Encore hier, elle lui reprochait de passer plus de temps avec moi qu'avec elle. Cela explique sans doute ses réactions de jalousie à mon égard. Elle devrait se méfier. Un jour mon pourvoyeur d'eau l'amènera faire une promenade par ici et l'abandonnera. Comme elle n'a pas mon pif, elle risque fort de ne plus retrouver son chemin si jamais elle perd de vue sa camionnette.

Bon, je ne joue plus. Je retourne à la maison. D'abord sentir l'odeur du vent, ce convoyeur d'empreintes odorantes et malodorantes, ce trimballeur de souvenirs phérormoniques, ensuite suivre cette autoroute olfactive pour le chien errant que je suis devenu.

Dès que mon attachant maître m'aperçoit, il affiche une certaine surprise teintée de contrariété. Peut-être est-il fâché de mes étourderies toutes canines et du fait de mes manoeuvres dilatoires à revenir à la maison. Je fais le beau. Il passe une main molle sur ma tête. Voilà, tout est oublié. Il m'invite de nouveau à sauter dans la camionnette et nous retournons jouer dans les bois. Quel enfant mon maître!

7 commentaires:

Venise a dit…

Oui, c'est à croire que tu as déjà été un chien ... je blague ! Question d'observation, de sensibilité. D'amour des mots aussi.

J'ai aimé le suspense, j'étais sur le qui-vive, j'ai peut-être l'humeur chagrine mais je pensais toujours qu'il trouverait son maître mort.

Finalement, c'était une histoire joyeuse, autant que ce chien, que je trouve très bavard cependant. Très, très bavard. Il nous en révèle des choses, pas muselé, aucune réserve, pas la moindre censure, il dévoile tout sur son maître.

Mek a dit…

Arf. Quelle sale histoire. Ils font pareil, ici, tu sais.

gaétan a dit…

Merci! Fond de tiroir envoyé à la dernière minute à un concours d'écriture régional pour le salon du livre de la côte nord et qui lui vaudra une place dans le recueil publié à cette occasion. whouf whouf!

Caro et cie a dit…

C'est bien la nature du chien.. confiant et enjoué!!

Heureux est-il de ne pas connaitre les véritables intentions de son maitre...

Anonyme a dit…

Une très belle lecture dans ma journée, Gaétan.

Félicitation pour le recueil.

Le rythme de ton texte a le même que la course du chien. J'ai eu peur que ça tourne mal pour lui, alors (w)ouf!

Gomeux a dit…

Y est chien en sale, le maitre...

gaétan a dit…

ouain sale maître pour le chien.