Frédo
35 ans de boîte à lunch à entendre parler de chars et de sports par des bricoleurs de patio. 35 ans à écouter des syndiqués gras dur et boursicoteurs parler d'argent. -Et moi je subissais tout ça. 35 ans à repousser l'abrutissement de ces lieux en y semant subversivement les graines d'un discours différent de la ''une'' du matin. 35 ans pour aboutir à un beau fonds de pension assurances incluses et m'affranchir. De tout ça. Sans rancune aucune. Juste désabusé.
Les ''foursome'' de baby-boomer retraité à 55 ans ne m'intéressaient guère. J'avais besoin de savoir si j'étais encore vivant: j'ai sauté en parachute, escaladé des montagnes, fumé du pot. Plaisirs éphémères de sensations passagères. J'étais vivant mais mort en dedans. Un mort vivant, un karma famélique, une âme vide.
J'entrepris de remeubler mon intérieur: séminaires, prières, calvaire. Rien n'y fit. Je me tournai vers la science: calcium, lithium, capharnaüm. La retraite n'était-elle qu'une longue agonie? Hors du travail point de salut? Étais-je condamné à retourner travailler? Plutôt mourir! Et je mourrais. Lentement.
Puis un beau jour il m'apparut. Derrière la vitrine d'une boutique, il m'interpellait. Une belle gueule avec un tatou, son nom sous le tatou: Bianchi SL Lite. Un bijou bleu céleste fabriqué à la main en Italie. Un trône pour selle, une légèreté au bout du doigt. Un cadre plus que parfait, un prolongement de moi-même. Bien assis sur sa selle magique, casqué avec en prime des lunettes d'aviateur, je découvris la vision kaléidoscopique de l'espace-temps du cycliste. Surprise! Ma vie n'était plus contenue dans la perspective d'un écran. Une révélation! Un réveil spirituel! J'ai tout vendu. Tout abandonné.
Je suis parti dans le sens du vent; convaincu d'une mission à accomplir.
Beaucoup de Québec et d'Europe. Un peu d'ailleurs. Les pistes du midi l'hiver. Les rubans du nord l'été. Les bernaches pour sablier. Randonnées du second souffle pour un Don Quichotte quinquagénaire. Découverte du nouveau monde pour un Marco polo de banlieue. Une retraite à pédaler au fil des cycles qui cadencent la terre, l'habillent pour la parer, la célèbrent pour l'immaculer d'un linceul blanchâtre.
Grâce à mon vélotransporteur mes sens se motivèrent par devers ces saisons. dans un premier temps mon odorat: la terre exhalait un bouquet exquis qui parfumait mes narines au rythme du pédalier. Le roulement des cris des enfants dérapait dans mes oreilles pour confirmer dans leurs jours chauds les mois de Phoebus. L'arrière-saison, elle, dévoilait ses couleurs fugitives avant la froidure où je fonçais, corps penché sur guidon et bouche ouverte, pour attraper les flocons de neige. Vie parallèle où je rajeunissais....
J'appelais mon vélo Frédo. À cause de ses origines. Je l'avais habillé de deux sacoches rouges à l'arrière, d'un phare décoratif et d'une sonnette à l'avant. Une sonnette comme celle de mon enfance qui révélait au monde mon existence.
Mon fidèle compagnon n'a jamais montré signe de défaillance durant notre épopée. Tout au plus a-t-il manqué de souffle et est-il tombé à plat devant l'impuissance des petits villages à garder leurs enfants. Ils se ressemblent tous ces petits villages avec leurs galeries garnies de fleurs d'une beauté embaumatoire. Et moi je leur disais, à ces habitants, que la fatalité n'existait que dans leurs têtes. Que c'était une diversion d'un maître indigne qui nous gouvernait pour satisfaire sa seule appétence. Et ils me croyaient. Et ils entreprenaient la grande corvée pour perpétuer leurs bleds.
Beaucoup de gens ordinaires sur ma route. Comme ces vielles serveuses aux pieds enflés et au faciès intrigué quand elles me voyaient entrer dans leur restaurant avec Frédo. Les clients, eux, cessaient de parler. Sans doute n'étaient-ils jamais allés bien bien loin avec leurs vies et dans leurs têtes. Moi, j'aimais à penser que ceux qui me saluaient enviaient ma témérité à troubler un certain ordre établi. Surtout quand je nouais une bavette à Frédo.
Le soir venu, nous laissions la voix de la nature nous guider vers un gîte où nous étions raremenr déçu. Il y a bien cette fois où une hôtesse nous avait surpris dans le même lit, mais bon, nous ne faisions rien de mal. Les gens qui reçoivent de parfaits étrangers doivent bien s'attendre à des surprises. N'est ce pas pour cela qu'ils ouvrent leurs portes? Pour sortir de leur quotidien? Pour vivre des aventures? À la maison ? Des aventures au mieux racontées, mais des aventures quand même? Alors moi je leur disais n'importe quoi et ils me croyaient. Ça leur donnait des frissons à ces gens de rêver.
Tourner la manivelle du matin au soir n'était pas sans danger. Nous devions nous méfier constamment de ces uranoscopes en voiture qui envahissaient notre territoire, rétrécissait notre trajectoire. Contre ceux-là, nous ne cédions pas d'un pouce. Pas un seul. Dussions-nous leur barrer la route, jamais je n'aurais laissé ces mangeurs d'asphalte pénétrer l'espace-temps du cycliste sans m'interposer car sous leurs apparences paisibles se cache l'intolérance. Et moi, je ne tolère pas l'intolérance.
Les ''foursome'' de baby-boomer retraité à 55 ans ne m'intéressaient guère. J'avais besoin de savoir si j'étais encore vivant: j'ai sauté en parachute, escaladé des montagnes, fumé du pot. Plaisirs éphémères de sensations passagères. J'étais vivant mais mort en dedans. Un mort vivant, un karma famélique, une âme vide.
J'entrepris de remeubler mon intérieur: séminaires, prières, calvaire. Rien n'y fit. Je me tournai vers la science: calcium, lithium, capharnaüm. La retraite n'était-elle qu'une longue agonie? Hors du travail point de salut? Étais-je condamné à retourner travailler? Plutôt mourir! Et je mourrais. Lentement.
Puis un beau jour il m'apparut. Derrière la vitrine d'une boutique, il m'interpellait. Une belle gueule avec un tatou, son nom sous le tatou: Bianchi SL Lite. Un bijou bleu céleste fabriqué à la main en Italie. Un trône pour selle, une légèreté au bout du doigt. Un cadre plus que parfait, un prolongement de moi-même. Bien assis sur sa selle magique, casqué avec en prime des lunettes d'aviateur, je découvris la vision kaléidoscopique de l'espace-temps du cycliste. Surprise! Ma vie n'était plus contenue dans la perspective d'un écran. Une révélation! Un réveil spirituel! J'ai tout vendu. Tout abandonné.
Je suis parti dans le sens du vent; convaincu d'une mission à accomplir.
Beaucoup de Québec et d'Europe. Un peu d'ailleurs. Les pistes du midi l'hiver. Les rubans du nord l'été. Les bernaches pour sablier. Randonnées du second souffle pour un Don Quichotte quinquagénaire. Découverte du nouveau monde pour un Marco polo de banlieue. Une retraite à pédaler au fil des cycles qui cadencent la terre, l'habillent pour la parer, la célèbrent pour l'immaculer d'un linceul blanchâtre.
Grâce à mon vélotransporteur mes sens se motivèrent par devers ces saisons. dans un premier temps mon odorat: la terre exhalait un bouquet exquis qui parfumait mes narines au rythme du pédalier. Le roulement des cris des enfants dérapait dans mes oreilles pour confirmer dans leurs jours chauds les mois de Phoebus. L'arrière-saison, elle, dévoilait ses couleurs fugitives avant la froidure où je fonçais, corps penché sur guidon et bouche ouverte, pour attraper les flocons de neige. Vie parallèle où je rajeunissais....
J'appelais mon vélo Frédo. À cause de ses origines. Je l'avais habillé de deux sacoches rouges à l'arrière, d'un phare décoratif et d'une sonnette à l'avant. Une sonnette comme celle de mon enfance qui révélait au monde mon existence.
Mon fidèle compagnon n'a jamais montré signe de défaillance durant notre épopée. Tout au plus a-t-il manqué de souffle et est-il tombé à plat devant l'impuissance des petits villages à garder leurs enfants. Ils se ressemblent tous ces petits villages avec leurs galeries garnies de fleurs d'une beauté embaumatoire. Et moi je leur disais, à ces habitants, que la fatalité n'existait que dans leurs têtes. Que c'était une diversion d'un maître indigne qui nous gouvernait pour satisfaire sa seule appétence. Et ils me croyaient. Et ils entreprenaient la grande corvée pour perpétuer leurs bleds.
Beaucoup de gens ordinaires sur ma route. Comme ces vielles serveuses aux pieds enflés et au faciès intrigué quand elles me voyaient entrer dans leur restaurant avec Frédo. Les clients, eux, cessaient de parler. Sans doute n'étaient-ils jamais allés bien bien loin avec leurs vies et dans leurs têtes. Moi, j'aimais à penser que ceux qui me saluaient enviaient ma témérité à troubler un certain ordre établi. Surtout quand je nouais une bavette à Frédo.
Le soir venu, nous laissions la voix de la nature nous guider vers un gîte où nous étions raremenr déçu. Il y a bien cette fois où une hôtesse nous avait surpris dans le même lit, mais bon, nous ne faisions rien de mal. Les gens qui reçoivent de parfaits étrangers doivent bien s'attendre à des surprises. N'est ce pas pour cela qu'ils ouvrent leurs portes? Pour sortir de leur quotidien? Pour vivre des aventures? À la maison ? Des aventures au mieux racontées, mais des aventures quand même? Alors moi je leur disais n'importe quoi et ils me croyaient. Ça leur donnait des frissons à ces gens de rêver.
Tourner la manivelle du matin au soir n'était pas sans danger. Nous devions nous méfier constamment de ces uranoscopes en voiture qui envahissaient notre territoire, rétrécissait notre trajectoire. Contre ceux-là, nous ne cédions pas d'un pouce. Pas un seul. Dussions-nous leur barrer la route, jamais je n'aurais laissé ces mangeurs d'asphalte pénétrer l'espace-temps du cycliste sans m'interposer car sous leurs apparences paisibles se cache l'intolérance. Et moi, je ne tolère pas l'intolérance.
Après un an de véloroute, un malaise persistant m'obligea à consulter: '' M. Tremblay, j'ai de très mauvaises nouvelles pour vous.'' Le verdict m'assomma. Littéralement. Quelques éternités plus tard, je me releva, encore groggy et sortis du bureau. Dehors le premier soleil du printemps réchauffait les petits corps transis d'oiseaux hyperactifs. De leurs jeux exhalait une odeur d'humus que je reconnais. De mon être émanait une envie irrésistible que je reconnais itou: fuir. À nouveau. Avec Frédo.
par moi-même
hiver 2002
hiver 2002
7 commentaires:
Arrête de rêver, t'es là.
Je te lis pis j'en prendrais encore.
Sors la sableuse, le rabot, gosse nous de quoi de beau.
Ouais, je seconde. Encore siouplaix monsieur Blais.
Merci c'est gentil.
C'est vrai qu'il fut un temps où j'aimais passer des heures à gosser du texte avec Robert, Bescherelle et Marie-Éva de Villers. On cherchait le mot juste, le ton approprié pis quand on l'trouvait s'tie que j'étais content. Pis pig brother (internet)est arrivé et s'est mis à toute bouffer mon temps.
Finies les parties carrées, hein? Dommage; Marie-Éva, sa langue française, Robert qui lui donnait la schlague et Besch... ben, Besh, on n'a pas besoin de le dire.
Gros soupir.
Y avait aussi le dic des synonymes, le petit code syntaxique et orthographique, dic des difficultés, trouver le mot juste.... des livres raturés, aux pages écornés et jaunis, des livres achetés pour presque rien dans des ventes de garage, des librairies de l'usagé. S'ti aujourd'hui ces livres là cé pu achetable.
Pour y avoir touché un peu jamais je ne dénigrerai le travail des écrivains. Parfois c'était frustrant mais la plupart du temps c'était satisfaisant. Bah c'est vrai que j'aimais ça écrire. Malheureusement la passion après quelques refus s'est déguisée en passe-temps.
Écrire, c'est une manière de vivre, à la limite, on ne choisit même pas, c'est plus fort que tout.
Publier, diffuser, rayonner ou pas avec ce qu'on écrit, c'est autre chose. Pour moi, c'est tellement secondaire. J'ai écrit toute ma vie mais n'ai jamais envoyé aucun manuscrit à aucune maison d'édition. J'ai même une maison d'édition parmi mes clients. Ils ne savent même pas que j'ai un blogue ou que j'écris autre chose que des communiqués de presse!
Il y a des textes qui s'imposent à nous, que si on ne les écrivait pas, on virerait fou.
Non, on n'a pas le choix vraiment.
Humm... ton commentaire me ramène en arrière sur les motivations qui m'ont amené à écrire....
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