dimanche 18 septembre 2011

Lettre de Victor-Lévy Beaulieu aux apôtres

-Parce que ça fait plusieurs fois que VLB monte au front
-Parce qu'il sera absent lors de la remise d'un prix Gémeaux qui l'honore
-Parce que j'ai lu plusieurs de ses livres et que je m'attaquerai à la lecture de son dernier titre Antiterre sitôt j'aurai terminé celle sur la biographie de Gaston Miron
-Parce qu'il explique dans une lettre précédemment écrite, envoyée et reçue les raisons de son absence aux prix Gémeaux autrement mieux que ce que les médias rapportaient hier et aujourd'hui faisant fi de sa générosité à l'égard de tous les artisans qui ont joué ses écrits à la télé et le faisant presque passer pour un "pas fin" parce qu'il refuse de jouer leur jeu
-Parce qu'il demande de publier, je publie. Trop heureux de faire partie de sa liste de distribution....
-BON DIMANCHE


OPINION

J’AIME MOINS LA TÉLÉVISION QU’AVANT

J’aime moins la télévision qu’avant. Je trouve qu’elle ressemble à ce qui est survenu à la Ligue nationale de hockey quand celle-ci s’est lancé dans une expansion déraisonnée, avec le résultat qu’on connaît : un sport qui n’en est plus un parce qu’animé par un trop grand nombre de joueurs sans véritable talent qui se servent de leur bâton de hockey comme d’une arme et de leurs corps comme d’un char d’assaut. Une violence toute américaine dont l’accomplissement parfait est celui de tous ces sports dits extrêmes où l’on voit des hommes et des femmes encagés, se frappant de coups de poing et de coups de pied, au grand plaisir d’une foule devenant hystérique quand le sang jaillit.
J’aime moins la télévision qu’avant. Depuis la multiplication des chaînes et sa concentration entre les mains de quelques propriétaires, on ne peut plus parler vraiment de qualité : le petit écran est devenu un gigantesque fourre-tout dont la médiocrité saute aux yeux dès qu’on a le courage de passer une journée devant son téléviseur. C’est que la télévision ne pense plus guère, elle se contente de plus en plus de réfléchir comme un miroir ce qu’elle croit que la société est devenue : un ramassis de faits divers que rien ne relie entre eux, sinon la bonne conscience de ses animateurs qui croient qu’en agissant ainsi, ils vous apportent la démocratisation de la télévision. Tout le monde y a désormais droit de parole, et davantage ceux qui sont tordus que les gens de santé, davantage ceux qui sont malades, paumés, imbéciles, détraqués ou devenus légumes que les citoyennes et les citoyens débordant d’un trop-plein de vie.
J’aime moins la télévision qu’avant. Je trouve qu’elle est devenue bien tonitruante : même ceux qui animent les bulletins de nouvelles ne cessent pas de me crier par la tête. Et que dire de tous ces animateurs de foules qui croient qu’un quizz et qu’un show dit de variétés ne peuvent pas exister sans qu’on ait toujours les baguettes en l’air et la voix à l’avenant!
J’aime moins la télévision qu’avant. Et moins aussi les chroniqueurs qui ont pour métier de me parler d’elle. Ils n’en ont plus que pour le vedettariat : un pet d’André Angelil, la désintoxication d’Éric Lapointe, le divorce des uns et le rabibochage des autres, Danny Turcotte qui joue le fif auprès d’André Boisclair et Guy A. Lepage qui fait une montée de lait, c’est maintenant ce qu’on appelle de la nouvelle et le bon peuple doit en savoir le long et le large. C’est que le monde des vedettes et celui des chroniqueurs forment une société fermée, qui ne s’adresse plus vraiment au monde, mais à elle seule.
J’aime moins la télévision qu’avant. Parce que les émissions dites sérieuses sont devenues les laissés-pour-compte du petit écran. On n’en parle pour ainsi dire jamais. Par exemple, La semaine verte célèbre cette année la quarantième année de son existence et ses concepteurs ont produit quatre merveilleuses émissions qui nous montrent, non seulement son évolution, mais celui de toute la société québécoise. Aucun de nos chroniqueurs n’en a dit un mot. Il en va de même pour Découverte, Planète science, Super science et la plupart des grands reportages que diffuse la chaîne RDI. Qui sait ce que sont Les agents du changement, une formidable série sur l’écologie, le développement durable et cette transvaluation de toutes les valeurs qui fut si chère à Friedrich Nietzsche?
J’aime moins la télévision qu’avant. Ses archives sont pleines de trésors, qu’on aurait grand intérêt et grand plaisir à revoir. Mais ça demanderait du travail, donc de l’argent à investir, et nos grands diffuseurs ne veulent ni de l’un ni de l’autre. Pour la centième fois, on a droit à Scoubidou, à Ma sorcière bien-aimée, à C.S.I. Miami, à La petite maison dans la prairie, à Beverly Hills ou à FBI, flic ou escroc. On peut désormais passer toute sa journée devant son téléviseur à ne voir que ce qu’il y a eu de moins bon à la télévision américaine des années 1960 à 1980.
J’aime moins la télévision qu’avant. On y parle de moins en moins bien notre langue, on l’écrit comme si elle ne nous appartenait déjà plus. Sur ces fils de presse qui défilent au bas de nos petits écrans durant les bulletins de nouvelles, on y fait une faute à tous les cinq mots et personne ne semble s’en préoccuper étant donné que ça ne cesse pas de passer et de repasser inlassablement.
J’aime moins la télévision qu’avant. Depuis qu’elle n’est plus nationaliste, mon être identitaire s’y perd. Dans certains bulletins de nouvelles de la télévision de Radio-Canada, pas moins du tiers qui s’y dit l’est souvent en anglais, puisqu’on n’y traduit plus rien. On peut bien élire dans le comté francophone de Berthier-Maskinongé une unilingue anglophone et l’y accueillir à bras ouverts : n’est-elle pas le nouveau rêve qui nous habite depuis que nous ne sommes plus nationalistes parce que nous avons mis au vestiaire notre être identitaire?
J’aime moins la télévision qu’avant. Tandis que le rêve américain s’effondre, nous importons des États-Unis de plus en plus d’émissions et de films dont on ne prend même plus la peine de traduire les génériques ni les titres (par exemple, The Price is Right). Avez-vous regardé une seule fois Qui perd gagne, cette émission sur des obèses étatsuniens qui sont récompensées quand ils maigrissent et punis quand ils ne maigrissent pas? Au-delà de toute indignité c’est!
J’aime moins la télévision qu’avant. Les publicités, notamment sur la bière, me rendent honteux. Non seulement on y représente toujours la femme comme un objet à consommer au même titre que le houblon, mais la firme Sleeman, sous le prétexte de nous raconter les commencements de la brasserie, nous amène dans le Chicago d’Al Capone, mitraillettes et tueries à la clé. Ce n’était pas bien, nous dit le commentateur de la chose, mais quelle bonne bière cela nous a donné! Mais il y a pire. De plus en plus, notre société se sert des enfants pour mieux vendre ses produits. Je pense notamment à cette publicité qui nous montre un tout jeune garçon qui nous vante la voiture qu’il vient d’acheter et qu’il considère comme sa maison, y jouant, toutes portières accessibles, sans qu’on exerce la moindre surveillance auprès de lui.
J’aime moins la télévision qu’avant. On y privilégie les films américains et les films québécois qui leur ressemblent. Sauf exceptions (celle d’André Forcier notamment), je ne trouve maintenant qu’une différence entre le cinéma américain et le nôtre : alors que le drapeau américain flotte partout et souvent dans tout film hollywoodien, on ne voit jamais le fleurdelisé dans notre cinéma. Rien d’autre qu’un hasard?
J’aime moins la télévision qu’avant. Parce qu’elle ne nous invente plus, elle nous évente. Parce qu’elle ne nous invente plus, elle nous éventre. De quoi comprendre que mon nationalisme et mon être identitaire en saignent comme cochon qu’on égorge.

Victor-Lévy Beaulieu
Grand prix de l’Académie de la télévision et du cinéma 2011

10 commentaires:

Yvan a dit…

Relais perso chez-moi.

Yvan a dit…

Ça le blesse beaucoup
d'être ainsi passé sous silence
en même temps que ce prix.
Un faux-prix réel,
un vrai-prix faux
passé sous silence de
l'off festival tévé alors
qu'il est précisément récompensé
pour son oeuvre télévisuelle.
C'est abject et pervers.
Un sommet de manipulation
médiatique tordue.
J'admire sa réaction.

Un vrai piège à cons
dont il sort la tête bien haute,
au contraire de tous ces valets
pseudo-culturels sevrés à la tétine
propagandiste qui ont constamment
la tête dans l'cul ou leur nombril
d'égo démesuré au bout de leur plume.

Une véritable honte,
une insulte publique déguisée
en hommage hors d'ondes offert
pas la télé des Tas.
Un véritable exemple
de camouflet culturel
affirmé.
But hey boys and girls!
Qu'espérer d'autre de la part
d'un mec de l'Alberta pétrolière
ayant avalé un balai dans sa jeunesse,
en Stephen Harper incarné?

VLB aura surfé au-dessus
en remerciant ceux
qui le méritent tout en dénonçant
la perfidie ambiante.

Merci.

gaétan a dit…

Bien dit.
Télé des Tas hihi...
Finalement j'avais loupé le texte médiatique publié chez Yvan concernant l'absence de Vlb aux Gémeaux et qui reflète mieux l'idée de la première lettre...

Denis Roussel a dit…

je vois pas dans son texte où ça le blesserait d'être laissé pour compte... je vois que ça ne lui tente plus de participer à une télévision qu'il trouve de plus en plus prévisible et minable.

Ce sont certains commentateurs qui ont sorti ça que ça le blessait. Lui ne l'a pas dit.

Je suis dans le bureau, ma femme écoute le gala dans l'autre pièce. J'ai le son, pas l'image.

C'est bizarre tous ces gens qui se congratulent alors que tout le monde les regarde. Y en a une qui a dit `formidable' 12 fois.

Anonyme a dit…

J'avais aussi le son d'où j'étais, je ne l'ai plus.

Honorer quelqu'un en sourdine, cest drôle ça.

Il y a culture, bon sens et savoir vivre. Il manque de tout à cette télé. Il ne reste que la cote d'écoute, les BBM.

Accent Grave

Denis Roussel a dit…

Ils sont en train de lui faire un hommage live au vrai gala en ce moment. Mais il n'est pas là. Ça ne l'intéresse pas ces sparages.

Yvan a dit…

Les singeries n'intéressent
que leurs semblables.
Son prix fut remis hors d'ondes,
tout est dit me semble.

Yvan a dit…

Comme Woody Allen.
Absent de la fatuité,
présent dans ma vie.

crocomickey a dit…

RadCan est merdique de l'avoir traité ainsi mais le VLB il a une très haute opinion de lui-même et considère les autres créateurs comme des tas de merde. Un peu de retenue svp ... Ya pas juste toi sur le globe mon cher VLB.

Zoreilles a dit…

J'endosse à deux mains toutes les parties de la lettre que signe VLB.


La phrase-choc de sa lettre, le topo de 15 secondes à retenir, si j'étais chef de pupitre à la télévision des Tas (!) à mon avis, c'est celle-ci : « C’est que le monde des vedettes et celui des chroniqueurs forment une société fermée, qui ne s’adresse plus vraiment au monde, mais à elle seule.»

Belle analyse complète de ce médium très puissant... en une seule phrase!

Il a bien fait de ne pas se présenter à cette grand'messe de la télé. Je ne crois pas qu'il ait été offusqué tant que ça qu'on lui rende hommage hors des ondes mais en ne s'y présentant pas, son geste donnait plus de poids à sa parole. Parce que VLB, on aura beau dire, c'est un homme de parole.

Autrement, s'il avait joué le jeu, on n'en parlerait déjà plus.

J'aime VLB, comme j'aime Claude Robinson.

« Un homme qui se tient debout, c'est le plus beau des monuments » (Georges Dor).